Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/02/2019

Les classes moyennes en France. Partie 1 : la fin des illusions ?

Dans la profusion d’articles sur la révolte des Gilets jaunes, il en est quelques uns qui s’attachent à évoquer et à comprendre les causes profondes, et pas seulement conjoncturelles, de la crise en cours : tel est le cas de l’entretien (publié sur le site du Figaro Vox le 15 février) avec le sociologue Louis Chauvel sur les classes moyennes qui précise utilement la situation de ce « groupe social hétérogène, trop riche pour réellement bénéficier de la redistribution mais trop fragile pour espérer une ascension sociale », ce que l’ancien président Nicolas Sarkozy avait formulé en une phrase simple : « ceux qui, trop riches pour être pauvres, sont trop pauvres pour être riches ».

 

« Ces personnes soupçonnent qu’ils paieront des impôts que les élites économiques évitent, et que leurs efforts seront sans récompense, parce qu’ils sont au-dessus des seuils de solidarité » : c’est cette impression qui nourrit une grande part de l’inquiétude mêlée de ressentiment des classes moyennes, et qui a formé comme une immense poche de gaz sociale dont la brutale explosion en novembre dernier a fait trembler, un court moment, les murs de la République élyséenne. Et c’est la réalité du déclassement qui constitue le carburant d’une révolte qui n’a pas complètement cessé, faute de réponse sérieuse aux angoisses des classes moyennes fragilisées par les grands mouvements de la mondialisation et de la métropolisation : « La grande transformation [depuis la fin des Trente Glorieuses] a été le déclassement du salarié qualifié moyen. Sans accès au patrimoine (…) le seul travail salarié ne permet plus aux ouvriers comme aux ingénieurs d’accéder à un confort supérieur. (…) C’est au centre de la pyramide que la tension entre les espoirs déçus et les réalités est la plus forte. Une année de travail salarié moyen permettait d’acheter neuf mètres carrés de logement parisien dans les années 80, et plus que trois aujourd’hui. ». En somme, le travail salarié a été victime d’une mondialisation dans laquelle l’actionnaire a pris le pas sur ceux qui vivent de leur force ou de leur intelligence de travail, et, pour la France, il ne paraît pas impossible de dater l’accélération de ce processus des années Mitterrand, quand s’étiolent les idéologies du partage et de la redistribution (ou, plus simplement, de la justice sociale, formule chère au cœur des royalistes), idéologies ou doctrines subsistantes mais dépassées par le désir des élites de moins en moins nationales de rejoindre le modèle de « réussite » anglosaxon, une réussite indexée avant tout sur l’argent-capital : c’est le temps des « gagneurs » qui remplacent les « meilleurs » ! Désormais, être un « gagneur » s’apparente à gagner le plus d’argent possible, « la » valeur finale, quand les « meilleurs », parfois symboles d’un monde ancien ou d’une culture traditionnelle, semblent ne pas prêter la même attention à cette « valeur-là », à leurs yeux trop corruptrice : l’abbé Pierre ou sœur Emmanuelle sont « nos meilleurs » dans ces années 1980-2000 quand Bernard Tapie ou Robert Maxwell, de l’autre côté de la Manche, se veulent les « gagneurs » qui, d’une certaine manière, termineront mal, le premier déconsidéré, le second opportunément noyé… Mais, déchus, les gagneurs n’entraînent pas le système dans leur chute, bien au contraire, et celui-ci survit et se nourrit de cette séduction faustienne permanente pour ce que Maurras nommait « le vil métal ».

 

Mais désormais, le travail ne paie plus directement ou « aussi bien qu’avant » celui qui l’effectue, mais bien plutôt celui qui exploite le travail d’autrui et en tire profit : les classes moyennes, attachées à un modèle de société de consommation auxquelles elles ont été habituées depuis les années Cinquante et qui les rend dépendantes d’icelle, consentent aux efforts durant un temps relativement long avant que de risquer la contestation lorsque leur ressentiment (ou leur déception), trop longtemps ignoré des gouvernements successifs, se cristallise brusquement (brutalement, même) sur ce qui semble un « détail » mais devient symbole aux yeux des « hommes communs », que cela soit le prix du carburant, la hausse annoncée d’une taxe ou la limitation à 80 kilomètres par heure. Le fait que ces décisions « d’abord technocratiques » soient prises par un « Pays légal » qui paraît trop parisien pour pouvoir respecter les provinces et se faire comprendre du « Pays réel » (dans sa pluralité), aggrave le sentiment d’injustice, qu’elle soit territoriale ou sociale (ou les deux à la fois).

 

Ainsi, « Les « gilets jaunes » ne sont pas des nostalgiques du monde d’hier qui auraient tout à perdre, mais au contraire un conglomérat d’individus conscients d’être la double victime désignée de notre temps : beaucoup leur est demandé pour soutenir le système, sans que grand-chose ne leur soit restitué. Par exemple, ils s’attendent à ce que, après avoir tenu le système de retraite à bout de bras, lorsqu’à leur tour ils devront y puiser, la caisse ne soit vide. » Ce ne sont pas des bénéficiaires des aides sociales ou des « prolétaires » mais des salariés qui constatent que les promesses de la société de consommation et d’abondance, promesses apparemment tenues durant ce que l’on nomme un peu facilement et sans doute injustement les « Trente Glorieuses », ne sont plus que des rêves évanouis. Reste alors la frustration, ce moment compliqué d’un réveil de lendemain de fête, bouche pâteuse et angoisse affleurante…

 

Le prochain débat sur la réforme des retraites pourrait bien, ainsi, rouvrir le champ des inquiétudes et des désappointements, et nourrir, peut-être, de nouvelles colères au-delà même de celle qui s’est couverte de jaune fluo sur les ronds-points : c’est ce que paraît évoquer Louis Chauvel en parlant, à propos de la révolte des Gilets jaunes, de « véritable séisme social que l’on sentait venir ». Et il ajoute dans le même mouvement une sorte d’avertissement : « Mais ce n’est pas encore le « Big One » (1) auquel il convient de se préparer. » N’est-il pas temps, alors, de réfléchir aux moyens concrets de répondre à cette « insurrection » qui s’annonce, et qui pourrait bien ouvrir la voie à une alternative, idéologique, politique et sociale, aux idéologies dominantes contemporaines ? Comme si les Gilets jaunes avaient ouvert, peut-être sans le savoir et de manière impensée, un nouveau cycle historique qui pourrait bien prendre le contrepied des principes de 1789-1793… Une révolution rédemptrice, qui mènerait à une Contre-Révolution française ?

 

 

 

Notes : (1) : Le « Big One » désigne le grand tremblement de terre dévastateur qui devrait, selon les scientifiques, frapper la côte Ouest des Etats-Unis d’ici quelques décennies (ou années), et, par extension, il prend ici le sens d’un événement fortement déstabilisateur du monde d’aujourd’hui, voire d’un cataclysme social et politique…

 

 

 

10/02/2019

La démocratie légale de l'Etat macronien face aux Gilets jaunes : une violence inévitable ?

Les démocraties occidentales sont malades, et elles sont d’abord malades de leurs classes dirigeantes, de ce que nous nommons en France « le pays légal » et qui, depuis des décennies, prend la forme d’élites dirigeantes et dominantes, autant sur les plans financier et économique, autant que sur ceux de la politique et de l’idéologie, élites de moins en moins engagées par les notions de service et d’humilité. Depuis quelques années, la séparation entre les catégories sociales (doit-on parler de « classes » ?) se fait plus visible et, aussi, plus vive : le creusement des inégalités, conséquence sociale de la mondialisation et de son imposition au sein même des sociétés anciennement constituées, a débouché sur la montée des injustices, qui ne sont rien d’autre que des inégalités démesurées, bien loin des inégalités justes et protectrices qui ordonnent toute société humaine et politique.

 

Dans son éditorial de Marianne de cette semaine, Natacha Polony valorise la thèse de David Adler, chercheur en science politique, selon laquelle « ce sont les centristes qui sont les plus hostiles à la démocratie, pas les extrêmes » : une formule étonnante mais qui ne surprendra pas vraiment ceux qui connaissent leur histoire contemporaine et qui ont suivi les évolutions idéologiques des classes dirigeantes depuis la fin de la Guerre froide. Effectivement, et la récente crise des Gilets jaunes, à la fois crise sociale et éminemment politique, l’a amplement démontré, parfois au-delà de toute raison, les propos des partisans du président Macron et de ses « ralliés récents » n’ont guère brillé par leur sens de la nuance, au risque de jeter régulièrement de l’huile sur le feu quand il aurait fallu apaiser sans mépriser les révoltés des ronds-points. Bien sûr, il y a eu, au début décembre, ce « réflexe de la peur » qui a parcouru les catégories centres-urbaines des métropoles devant cette colère parée de jaune et qui a fait trembler jusqu’aux ors de l’Elysée : l’épisode de l’hélicoptère prêt à évacuer le locataire des lieux, le 8 décembre dernier, est aussi révélateur qu’il est triste… Mais les réactions des lecteurs des grands journaux sur leurs forums de discussion respectifs sont encore moins rassurantes sur l’état de division de notre pays, et la violence des propos des « assiégés » (comme certains se définissaient eux-mêmes) contre les manifestants « ignorants, vulgaires, gueux » ont pu légitimement choquer ceux qui cherchent plutôt le dialogue (même sans concession) que la brutalité. Les réseaux sociaux en ont aussi été la lice virtuelle, non moins parcourue des fureurs et tremblements que la rue, de Rennes à Paris, de Bordeaux à Lille…

 

L’article de Natacha Polony a choisi d’insister sur les violences et appels à la répression issus des rangs du « pays légal » macronien, ce qui, d’une certaine manière, rompt avec la doxa de la grande presse, inquiète de la tournure prise par des événements qui semblent échapper à ceux qui tiennent le Pouvoir depuis si longtemps sous des masques divers. Il est vrai que la nouvelle loi anti-casseurs n’a rien de rassurant, en fait, comme l’a souligné le député conservateur Charles de Courson, « centriste catholique » qui n’oublie pas ses racines ni les leçons de l’histoire, y compris celle de sa propre famille, au point d’apparaître en dehors de ce « centrisme totalitaire » dénoncé par Mme Polony. Cela rejoint d’ailleurs la réflexion des royalistes qui considèrent que les traditions (au sens premier du terme, « transmission » d’un héritage immémorial et toujours vivant) sont les meilleures protections contre les dérives du moment présent, plus « immédiates » et souvent moins mesurées, faute de prise de hauteur temporelle ou historique. (1)

 

La violence des casseurs des derniers samedis parisiens qui, par leurs actes étrangement impunis dans la plupart des cas, cassent d’abord de l’intérieur le mouvement des Gilets jaunes en s’en prenant de plus en plus aux manifestants « originels » de l’automne, donne des arguments faciles au Pouvoir dont ils sont les providentiels alliés pour déconsidérer le mouvement d’ensemble. Cela permet au gouvernement de M. Castaner de se poser en « garant de l’ordre et de la sécurité », ce qui est tout de même le comble quand on peut constater la montée incessante de la délinquance (et de sa relative impunité, faute d’une réponse adaptée et concrète) dans notre pays et son coût pour les victimes et la société ! Mais le gouvernement n’en a cure, et il renforce son arsenal répressif en visant explicitement les Gilets jaunes, ces « empêcheurs de politiser en rond » selon l’heureuse expression d’un orateur royaliste entendue il y a peu. Sans doute faut-il y voir effectivement un symbole, comme le souligne Natacha Polony qui ne prend guère de gants avec l’Etat macronien : « Derrière les mises en scène de démocratie participative, la volonté farouche de se prémunir contre un peuple qui a la fâcheuse tendance à mal voter. (…) Quand un candidat « raisonnable » propose de lutter contre les « prurits populistes », quels qu’ils soient, tous les moyens sont bons. Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit nullement de défendre la démocratie, mais de défendre un système économico-politique considéré comme le meilleur pour garantir la stabilité et la prospérité. Quitte à le défendre contre l’ignorance coupable des peuples, qui persistent à ne voir que le chômage de masse et leurs fins de mois difficiles au lieu de s’extasier sur le progrès garanti par l’avènement du grand marché global. Emmanuel Macron ne gouverne pas pour le peuple français mais pour la préservation de ce système, au besoin contre une large partie du peuple. » Ainsi, le Grand débat national, que les royalistes ne boudent pas car soucieux de présenter leurs points de vue et de crédibiliser leur force de proposition, n’est sans doute qu’une opération de diversion qui n’a pas pour vocation de remettre le système en cause mais de le remettre à flots, ce qui n’a pas exactement le même sens ni la même portée…

 

La sévérité de Mme Polony ne s’arrête pas à ses quelques lignes reproduites plus haut : « Nulle « troisième voie » dans le macronisme. La colère engendrée par quatre décennies de marche forcée vers la dérégulation, le libre-échange, l’abandon de toute protection non seulement des salariés, mais surtout des filières industrielles et agricoles, la financiarisation de chaque domaine de l’action humaine, et la paupérisation par la logique du low cost, aboutit à des formes diverses d’insurrection (…). Et ces insurrections deviennent le prétexte pour réduire les libertés publiques, mais aussi les capacités de décision de citoyens considérés comme des irresponsables, ou pis, des ennemis du bien commun. Ce faisant, on ouvre un boulevard aux extrêmes, dans un concours de radicalité. » Si la révolte vient de loin, et l’on pourrait s’étonner qu’elle vienne si tard (trop tard ? Souhaitons que non !), la répression s’attache à « maintenir l’ordre présent du système », ce qu’Emmanuel Mounier, personnaliste chrétien du milieu du XXe siècle, baptisait de cette formule définitive de « désordre établi ». Maurras parlait d’utiliser toutes les possibilités offertes par la contestation ou par le système lui-même pour établir la Monarchie, mais c’est la République actuelle qui pratique le mieux sa formule bien connue « Par tous les moyens, même légaux » pour préserver sa domination sur le pays…

 

« On finira bien par restaurer la monarchie, un jour, contre la dictature et l’anarchie », écrivait jadis Eugène Ionesco dans un article célèbre du Figaro Littéraire paru en 1969. Si j’avoue ne pas considérer le président Macron comme un dictateur, à l’inverse de son ministre de l’Intérieur M. Castaner qui n’en est, pour l’heure, qu’un apprenti maladroit et violent, la situation de notre pays, elle, apparaît bien anarchique, entre le libéralisme sans frein (malgré quelques limites liées à notre histoire nationale et à celle de son Etat-providence) et les désordres urbains (à ne pas confondre avec les manifestations sur les ronds-points, entre autres), et, s’il y a dictature, c’est celle du règne de l’Argent, de cette « fortune anonyme et vagabonde » qui semble inaccessible aux notions de justice sociale et de partage équitable. Alors, oui, au regard de ce couple infernal qui asservit nos compatriotes et désordonne notre société historiquement constituée, c’est bien la Monarchie royale qui peut réaliser cette synthèse entre l’ordre nécessaire à toute cité pour être et durer, et les libertés publiques qui font battre le cœur de notre nation…

 

« La Monarchie est aussi, elle est surtout, la dernière chance de la liberté », affirmait Thierry Maulnier dans les années trente : n’attendons pas le pire pour nous rappeler de cette sage et si politique réflexion… (2)

 

 

 

 

 

 

Notes : (1) : c’est aussi ce qui explique que la Monarchie, par essence, est plus éloignée des tentations totalitaires que les Républiques qui s’appuient sur les « émotions de masse » et sur une sorte d’instantanéité sans mesure, privilégiant la passion à la justice qui, souvent, nécessite un enracinement dans le temps long pour être véritablement ce que l’on peut attendre d’elle, la légitimité de la décision arbitrale.

 

(2) : un prochain article évoquera la riche et profonde pensée de Thierry Maulnier sur la Monarchie, d’une grande actualité aujourd’hui pour « penser l’après-Gilets jaunes ».

 

 

04/02/2019

Les Royalistes, ces Gilets jaunes fleurdelysés.

En ce début février, les manifestations des Gilets jaunes n’ont pas cessé, et si le nombre des manifestants semble décroître, il n’est pas certain que les raisons de manifester, elles, sont moins nombreuses ou moins importantes. En ce sens, le grand débat national, pour motivant qu’il soit pour la réflexion et la proposition, n’est ni suffisant ni satisfaisant pour apaiser les colères multiples qui ont envahi le champ social et les lices politiques, ce qui ne signifie pas qu’il faille le déserter mais simplement qu’il ne faut pas en attendre grand-chose de concret, référendum ou non.

 

Désormais, le samedi est devenu, au fil des semaines, le marqueur des manifestations, et le calendrier passé en compte déjà douze depuis le 17 novembre, date inaugurale des promenades en jaune. Les royalistes y ont sorti régulièrement leurs drapeaux, comme nombre d’autres mouvances, et la photo d’un sacré-cœur chouan côtoyant le portrait de Che Guevara en est la plus récente illustration, inattendue autant que surprenante pour qui oublie les conjonctions paradoxales des temps d’épreuves et de tempêtes : en 1940, les royalistes d’honneur que furent Honoré d’Estienne d’Orves, le colonel Rémy ou le camelot du roi Luc Robet, et tant d’autres, ne se posaient pas la question des opinions de ceux qui partageaient leur aversion pour cette Occupation malvenue et choquante que tous subissaient. Bien sûr, et fort heureusement, nous ne sommes pas en 1940, mais, pour nombre de royalistes sans œillères et lecteurs de Bernanos, l’alliance des « Blancs » et des « Rouges » contre le Pouvoir en place et pour la revendication, fort légitime, de justice sociale (formule chère aux monarchistes qui n’oublient pas que c’est le roi Louis XVI qui l’a « inventée » !), peut justifier ces compagnonnages étranges et limités dans le temps. D’ailleurs, en réaction à cet état de fait, certains provocateurs se réclamant d’un nihilisme brutal ou d’un trotskisme suranné n’ont pas hésité à jouer les « épurateurs » contre les volontaires du Roi, au risque de faire le jeu d’un Pouvoir qu’ils disent combattre quand, concrètement, ils le protègent par leurs exclusives politiciennes.

 

Les royalistes, dont la fibre sociale s’est révélée plus sensible que chez nombre de « conservateurs » partisans d’un « ordre républicain » qui n’est rien d’autre, en définitive, qu’un « désordre établi », continuent à jouer une partition particulière dans cette contestation inédite : enracinés dans leurs terroirs et dans l’histoire longue de la nation France, cette nation qui n’est pas née en 1789 ni par la mort du « roi Capet », les royalistes évoquent la nécessaire justice sociale, préférant souvent le mot d’équité à celui, plus ambigu, d’égalité même si, en privant cette dernière d’une majuscule qui la pétrifie sans profit pour les citoyens et en la qualifiant selon les lieux et les corps publics, elle devient plurielle et légitime. Oui, l’équité territoriale, c’est-à-dire la reconnaissance d’une inégalité protectrice car prenant en compte les situations et les conditions particulières des provinces, des communes et des corps intermédiaires ; oui, la justice sociale, c’est-à-dire le refus des inégalités démesurées et injustifiées qui ne sont rien d’autre, alors, que des injustices, parfois légales mais toujours illégitimes ; oui, l’égale dignité des travailleurs et de ceux qui n’en sont plus, par la retraite ou par la rente, dans la société et dans la contemporanéité ; oui, l’ordre public, qui n’est pas forcément « républicain », pour que chacun soit préservé des effets dévastateurs des désordres et des incivilités qui sapent la bonne entente sociale au profit des plus méprisants ou des plus violents (qui sont parfois les mêmes)…

 

Le message royaliste n’est pas, pour autant, un message utopique ou seulement catégoriel : il est le rappel de ces quelques principes simples qui peuvent ordonner la vie sociale comme le débat politique et institutionnel. S’il peut offrir aussi un débouché à la contestation et à la discussion, c’est que, bien que partisan, il prône une magistrature suprême de l’Etat dont la légitimité ne repose pas sur des urnes présidentielles qui sont trop souvent de véritables boîtes de Pandore, mais s’appuie sur la longue suite des temps et l’indépendance statutaire ouverte par le mode même de transmission du sceptre de père en fils, sans que ni l’un ni l’autre ne puissent s’en échapper… Ce non-choix est la condition première de sa position d’arbitre institutionnel au-dessus des partis et des factions, au-delà des péripéties parlementaires et des pressions des nouvelles féodalités financières et économiques. Elle est, à l’heure des campagnes millionnaires et communicantes, la liberté possible et nécessaire de l’autorité suprême qui rend possible les nécessaires libertés publiques.

 

Puisque les questions institutionnelles s’invitent dans le débat après être descendues dans la rue, il n’est pas incongru que les royalistes conséquents et constructifs prônent l’instauration d’une Monarchie royale qui pourrait, de par sa nature et son statut, ouvrir la voie à la refondation des « républiques françaises », provinciales, locales, professionnelles, susceptibles de se gouverner par elles-mêmes dans le cadre protecteur de l’Unité française et sans le corset de « l’indivisibilité » qui, trop souvent, n’est que le synonyme de l’uniformité et de la contrainte venue d’un Etat parisien trop jacobin pour être honnête…